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Médialibre 2022

A Paris : des cours d’école aménagées pour rafraîchir la ville


La nécessité de végétaliser les villes s’impose face aux aléas climatiques. À Paris, où il y a peu d’espaces disponibles, les cours d’école font partie des zones aménageables. Mais les coûts restent élevés et les agencements plus ou moins adaptés.

Vagues de chaleur, canicules, crues… La capitale n’échappe pas aux menaces liées au changement climatique. Le Conseil de Paris s’est déclaré en « état d’urgence climatique » au mois de juillet 2019. Le risque a d’ailleurs augmenté dans toutes les villes, soulignait en février 2022 le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) dans le deuxième volet de son sixième rapport. Cet organe scientifique plaide pour des solutions d’adaptation à même de réduire l’impact des aléas climatiques.

Multiplier les espaces verts est une des solutions inscrites par la ville dans les plans « Climat », « ParisPluie », « Biodiversité 2018-2024 », ou dans sa « stratégie de résilience ». L’objectif est de passer de 23 % du territoire parisien perméable et végétalisé à 40% d’ici à 2040. Mais, sous la pression du secteur foncier, les espaces disponibles se font rares. Adapter la ville aux enjeux de demain reste un travail de dentellier.

Les cours de récréation font partie des terrains sur lesquels les services municipaux ont la main et peuvent agir directement. Elles occupent 70 hectares du territoire de la capitale et sont réparties sur tous les arrondissements. L’objectif est de végétaliser ces 760 espaces (de la maternelle au collège) d’ici à 2050. La priorité a été donnée aux réaménagements d’urgence.

Du bitume à la pleine terre

« Notre cour était hideuse et comportait différents niveaux, avec un affaissement qui se transformait en flaque d’eau par mauvais temps sur un tiers de sa surface. Ça ne pouvait pas être pire », se rappelle Dominique Gasnot, directrice de la maternelle de la rue d’Aubervilliers, dans le 19e arrondissement, devenue « oasis » il y a trois ans. « C’est bien mieux maintenant, l’eau est absorbée par la végétation, c’est plus agréable et plus joli », se félicite-t-elle.

« Nous sommes nombreux à nous souvenir des chaleurs harassantes dans les salles de classe, et c’est encore souvent le cas », rapporte Hadrien Bortot, adjoint au maire du 19e arrondissement, en charge de la ville durable, de la ville du quart d’heure (trouver tout ce qui est nécessaire à quinze minutes de chez soi) et de la ville résiliente. « On nous a même rapporté que des espaces extérieurs ne pouvaient pas être utilisés l’été car ils étaient exposés plein sud. Les enfants ne pouvaient même pas poser la main par terre tellement ça brûlait. »

La cours oasis de la maternelle de la rue Tandou est séparée en deux. A gauche le terrain bitumeux classique, à droite une partie végétalisée avec de la pleine terre, des arbres, des structures de jeux sur un talus plein d'herbes folles.
La cour oasis de l’école maternelle de la rue Tandou (Paris 19), co-conçue avec l’équipe pédagogique et les élèves, est ouverte au public le samedi. ©Camille Lafrance.

Avec leurs sols d’asphalte, les cours de récréation classiques contribuent aux îlots de chaleur urbains qui touchent les arrondissements les plus denses. En effet, les revêtements minéraux emmagasinent la chaleur le jour et la libèrent la nuit, freinant le potentiel de refroidissement dans la ville. Dans les cours oasis, un équilibre entre surfaces de pleine terre et terrains de jeux plus minéraux est privilégié. Retirer du bitume et végétaliser permet de réduire cet effet et de transformer ces lieux en îlots de fraîcheur. Les plantes stockent peu de chaleur, et leur évapotranspiration rafraîchit l’espace. Les arbres nouvellement plantés apportent quant à eux de l’ombre.

Désimperméabiliser les sols en réintroduisant de la pleine terre permet par ailleurs une meilleure gestion de l’eau. Les pluies peuvent s’y infiltrer, réduisant les risques d’inondation et d’engorgement des réseaux d’assainissement. Les systèmes de récupérateurs de pluie, eux, servent à l’arrosage car des végétaux en stress hydrique ne pourraient pas jouer leur rôle de climatiseur en cas de forte chaleur . Dans certaines, des zones de ruissellement sont aménagées pour acheminer l’eau vers les arbres et les plantes, tout en permettant aux enfants de jouer.

Bénéfices pédagogiques

Comme d’autres écoles, la maternelle de la rue d’Aubervilliers dispose désormais d’un jardin pédagogique et de bacs où les enfants peuvent planter bulbes et fraisiers. « Ça profite à nos petits Parisiens qui, pour la plupart, quittent peu le quartier », explique Dominique Gasnot. La sensibilisation au réchauffement climatique fait partie de cet apprentissage « les mains dans la terre ».

L’effet apaisant de ces mini-oasis est régulièrement mis en avant. « Les élèves peuvent s’y défouler, ils s’y ennuient moins, et cela atténue les conflits. Résultat : ils sont plus calmes en classe », souligne Charlotte Van Doesburg, du Conseil d’architecture d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) de Paris, partie prenante dans la conception du projet.

Mais, dans ces nouvelles cours constituées de talus, de pierres, de sable ou de rigoles, la gestion du risque reste un enjeu. C’est notamment pour cette raison que peu de crèches font aujourd’hui partie du projet. L’état des vêtements, après ces séances de jardinage, peut irriter certains parents. Des copeaux de bois ont été ajoutés pour éviter que les élèves ne repartent couverts de boue.

Ouvertures au public

Le nouveau plan climat-air-énergie territorial (PCAET), adopté en mars 2018 par la ville, prévoyait que chaque Parisien loge à moins de sept minutes à pied d’un îlot de fraîcheur. Les cours d’école font partie des 700 espaces identifiés pour cette évolution. La ville en compte désormais 75 et en aura une centaine à la rentrée prochaine.

A Paris, 16 cours d’école oasis ont été ouvertes au public le samedi (parmi 42 cours ouvertes en tout). Des animations y sont parfois proposées par des associations. L’objectif est de permettre aux riverains de les identifier comme de potentiels refuges en cas de fortes chaleurs. Elles pourraient à terme être ouvertes le soir les jours de canicule pour jouer pleinement ce rôle. Mais ce dispositif n’est pas toujours connu des parisiens. Certaines cours n’attirent que qu’une dizaine de visiteurs, d’autres jusqu’à 100 ou 200 personnes. L’école Aubervilliers du 19e arrondissement en faisait partie mais face au manque de fréquentation, elle est désormais fermée hors temps scolaire.

« Ce sont des espaces de jeu pour les enfants inutilisés deux jours par semaine, il faut les rendre aux Parisiens, car il est très difficile d’ouvrir de nouveaux squares », estime Hadrien Bortot. L’objectif est de faire en sorte que les riverains s’approprient ces nouveaux territoires de vie et les identifient comme des refuges en cas de canicule. « Ils ont une utilité sociale évidente mais ne sont pas encore repérés comme des lieux où trouver le frais », reconnaît l’élu. Parmi ces cours ouvertes au public, celle de la rue Tandou, située dans son arrondissement, fait partie des neuf premières cours dites « oasis ».

Où trouver une cour oasis à Paris ?

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Des projets plus ou moins aboutis

Depuis le lancement de ce projet pilote en 2018, les ambitions ont évolué. Conçues avec les enseignants et les élèves, ces cours privilégient le bien-être des enfants au prix de défis techniques. Dans l’idéal, les sols doivent être clairs pour réfléchir une partie de l’énergie solaire et refroidir la zone, sans absorber cette énergie. Le choix des copeaux peut ainsi avoir son importance dans l’augmentation de l’effet d’albédo (réflexion de la lumière) qui est plus ou moins fort selon la teinte du support. Plusieurs essais ont été nécessaires pour améliorer des sols recouverts de matériaux drainants mais trop râpeux qui blessaient les genoux des enfants. L’idée d’installer des sous-bois a été abandonnée, car ils étaient trop glissants. Dans certains coins, les plantes poussent moins bien, ou les herbes sont piétinées. La végétation sera donc protégée les premières années pour qu’elle puisse se développer, tout autant que les mauvaises herbes.

L’association France Nature Environnement (FNE), qui s’interrogeait sur le bienfondé de ces aménagements, a récemment regretté que « la nature (qualité des sols, arbres et végétaux)ne soit finalement que peu mise en valeur » ; elle a appelé à une adaptation au climat de ces espaces « avec une exigence de qualité ».« Les premières cours oasis étaient très minérales, la végétation restait timide. Nous avons opéré un virage radical en quelques années, rétorque Charlotte Van Doesburg. Nous avons réorienté le projet par le biais des usages et opté pour des matériaux plus naturels en adaptant les aménagements à chaque contexte. »

Les contraintes restent nombreuses : certaines cours sont construites sur dalle, sur une terre argileuse peu perméable ou sur des zones de gypse sensibles aux infiltrations, voire sur des sols pollués. Par ailleurs, les réseaux qui maillent les sous-sols parisiens sont autant d’obstacles à anticiper.

Le coût de l’adaptation

Autre frein : le coût de ces aménagements, jusqu’à cinq fois supérieur à Paris qu’en province ; ils peuvent atteindre 600 euros du mètre carré. En cause, le prix des matériaux, l’acheminement de la terre vers la capitale et les contraintes d’accès à ces chantiers. Le prix moyen y est estimé à 300 ou 400 euros du mètre carré par l’Agence parisienne du climat (APC), qui souligne la nécessité de « tendre vers des coûts moins importants grâce notamment à une revalorisation de l’existant ».

D’autres villes s’en inspirent désormais avec, comme dans la capitale, des végétalisations plus ou moins abouties. « Dans certaines les arbres sont cerclés dans du bitume, cela crée un ombrage mais ne permet pas de désimperméabiliser ou renaturer en créant de vrais écosystèmes. Agir dans l’urgence n’est pas toujours durable, notre rôle est de donner des clés aux territoires », précise Elodie Briche Coordinatrice R&D Urbanisme Durable à l’’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Elle appelle à réfléchir à ces aménagements selon les contextes et sur le long terme en choisissant par exemple les espèces d’arbres en fonction notamment des types de climat et de leur évolution.

France Nature Environnement exhorte à dresser le bilan des cours oasis de la capitale pour avoir une vision d’ensemble avant d’aller plus loin, d’autant plus « dans une période de rigueur budgétaire où l’entretien et la rénovation des écoles sont sévèrement touchés ». Des évaluations sont en cours de réalisation.

En attendant, pour rafraîchir la ville, d’autres solutions apparaissent et permettent d’améliorer son adaptation au changement climatique. La végétalisation reste le moyen le moins onéreux et le plus facile à mettre en oeuvre. Pour atteindre l’objectif de 40 % de végétalisation de la capitale, reste à supprimer encore davantage de bitume dans l’espace public et à aménager le parc privé.

L’expérience de transformation du parking d’un foyer de jeunes travailleurs à Aubervilliers (93) en place végétalisée, Lisière d’une Tierce Forêt, a été largement saluée comme un nouveau type d’espace public réplicable ailleurs en ville.

Les lieux sont devenus plus agréables et les usagers de Lisière d’une Tierce forêt y ont gagné en fraîcheur. Son béton drainant évite les piétinements et protège les systèmes racinaires des arbres. L’eau qui s’y infiltre et alimente la végétation et favorise l’évapotranspiration. Une cuve souterraine étanche, tapissée d’argile et remplie de pierres, permet par ailleurs de créer un réservoir d’eau à même de les alimenter en cas de sécheresse.

Le projet Lisière d’une Tierce forêt a transformé le parking d’un foyer de jeunes travailleurs en cour végétalisée. @Camille Lafrance.

« Cette expérience peut se déployer ailleurs. C’est une autre conception de la nature en ville, basée non pas juste sur des alignements d’arbres mais sur l’écosystème permettant un développement plus pérenne de la végétation », souligne Cécile Gruber, directrice de l’information et de la communication à l’APC. Le cabinet Fieldwork architecture à l’origine du projet, est d’ailleurs également impliqué dans des aménagements de cours végétalisées, notamment à Choisy-le-Roi. 

L’architecte Andrej Bernik nous explique la démarche de conception du projet Lisière d’une Tierce forêt, à Aubervillers (93).

En plus des 70 hectares de cours oasis disponibles, 100 hectares de voirie devraient être végétalisés à terme dans la capitale. Une centaine de rues oasis sont attendues, pour certaines piétonnes, en particulier aux abords des écoles. « Il y a beaucoup de choses à faire pour rendre la ville vivable et agréable, à condition de mobiliser les financements correspondants, souligne Hadrien Bortot à la mairie du 19ème. Mais on ne peut pas se résigner à créer des îlots de fraîcheur dans un univers suffocant, il faut aussi mettre en place des mesures d’urgence pour baisser la chaleur globale en diminuant la circulation et en changeant les revêtements. » En parallèle de ces efforts d’adaptation, la réduction des émissions de gaz à effet de serre doit rester une priorité.

Paris : des risques de canicules et d’inondations de plus en plus importants

A Paris, la température moyenne de 13,1°C en 2010 devrait continuer d’augmenter jusqu’à 14,5°C en 2085. Le nombre de jours caniculaires (température supérieure à 30°C) devrait plus que doubler pour passer de 13,6 à 34,1 dans ce même laps de temps. Les nuits tropicales (plus de 20°C) atteindraient quant à elles 34,8 jours (contre 5 en 2010).

La sécheresse des sols devrait de son côté augmenter de 10% en 2050. A l’inverse, les risques de crues décennales (ayant une chance sur dix de se produire chaque année) et de crues centennales (ayant une chance sur cent d’être observé ou dépassé chaque année) pourrait croître respectivement de 20 et 40%.

Photo d’ouverture : ©Camille Lafrance.